Home
Home  » Souvenirs de Maître Xu Yun: Chapître 2 - La pratique du Chan
Maître Hsu Yun

Souvenirs de Maître Xu Yun: Chapître 2 - La pratique du Chan

par Jy Din Shakya, recueillis par Ming Zhen (Chuan Yuan) Shakya
Traduit de l'anglais par Rev. Shi Chuan Guang, OHY

Beaucoup de gens entreprennent la pratique du Chan en se disant: "Fort bien! Puisque tout n'est que Maya et illusion du Samsara, peu importe ce que je fais et comment je le fais.

Seule importe l'atteinte du Nirvana. Puisqu'il n'existe rien de tel que le bien et le mal, comportons-nous selon notre désir."

Je vous dis que ce que nous faisons n'est pas sans importance.

Le Chan est une branche de la religion bouddhiste et, en tant que bouddhistes, nous devons observer des préceptes éthiques. Samsara ou pas, nous obéissons à des préceptes. En outre, nous suivons de strictes règles de discipline qui encadrent notre pratique.

Commençons par les règles de la pratique:

On peut certes suivre bien des méthodes différentes, mais avant de s'aventurer dans l'une d'elles, le débutant doit satisfaire à quatre exigences fondamentales.

Il ( ou elle) doit:

1 - Saisir et comprendre la Loi de la Causalité
2 - Accepter les règles de discipline
3 - Conserver constamment une indéfectible foi dans le Soi Bouddha
4 - Etre déterminé à persévérer dans la méthode qu'i (ou elle) a choisie

Je vais examiner chacun de ces préalables.

Tout d'abord, la Loi de la Causalité. Elle affirme tout simplement que le mal engendre le mal et que le bien a la bien pour conséquence. Un arbre toxique produit des fruits empoisonnés, alors qu'un arbre qui ne l'est pas donne des fruits sains.

Conceptuellement, cela paraît simple; mais derrière cette simplicité gît une véritable complexité.

Les actions mauvaises sont un mauvais investissement. Elles garantissent une réciprocité de souffrance, d'amertume, d'angoisse et de remords. Il n'y a nul profit à attendre d'actions dont les sources sont l'avidité, la convoitise, la colère, la vanité, la paresse ou la jalousie. Pareilles motivations ne font que servir les prétentions de l'ego. Les actions mauvaises ne peuvent jamais conduire à des résultats d'ordre spirituel. Elles ne garantissent que la pénurie spirituelle.

D'autre part, les bonnes actions, pourvu qu'elles soient effectuées sans conditions - et non comme une mise destinée à rapporter une récompense future, procurent à leur auteur paix et accomplissement spirituel.

Une bonne action détachée de l'ego, diffère radicalement d'une bonne action préconçue. Superficiellement, l'effet peu sembler le même; - l'aide ou le bienfait voulu sont les mêmes; mais celui qui aide autrui avec le secret espoir d'en retirer quelque récompense, ne produit en fait que le mal, et non le bien. Je vais illustrer ce point:

Il était une fois en Chine un prince qui aimait les oiseaux. Quand il lui arrivait de trouver un oiseau blessé il ne manquait pas de le nourrir et de le soigner jusqu'à la guérison . Après quoi, l'oiseau ayant recouvré ses forces, il se réjouissait de lui rendre la liberté.

La réputation de son amour pour les oiseaux blessés et de son talent à les soigner se répandit largement et, chaque fois qu'un oiseau blessé était découvert dans le royaume, il lui était aussitôt apporté. Le prince à chaque fois exprimait sa gratitude à la personne venue à lui. Ce qui fait qu'en vue d'obtenir la faveur du prince, on se mit à attraper des oiseaux et à les estropier délibérément pour les apporter au palais. Il en résulta que de nombreux oiseaux furent tués au cours de leur capture, et le royaume devint un enfer pour les oiseaux.

Quand le prince s'aperçut que sa bonté avait été la source de tant de mal, il décréta que l'on ne vînt plus désormais au secours d'aucun oiseau blessé. Voyant qu'il n'y avait plus dès lors d'intérêt à porter aide aux oiseaux, on cessa de s'attaquer à eux.

Il arrive parfois que nos expériences ressemblent à celle de ce prince. Parfois, croyant faire pour le mieux, nous nous rendons compte avec tristesse que nous avons en fait causé un plus grand mal que celui auquel nous avions eu l'intention de porter remède.

Si vous accomplissez une bonne action, faites le dans le silence et l'anonymat. Et ne vous en réjouissez pas. Un acte de bonté ne dure que fort peu;- une fois disparu, il doit être très vite enseveli. Laissez le reposer en paix. Ne tentez pas de le ressusciter. Trop souvent, nous métamorphosons nos actes de bonté en spectres qui hantent ceux que nous avons servis, et qui les forcent à se souvenir de l'admirable service que nous leur avons rendu. Ils s'efforcent alors d'oublier.

Mais qu'arrive-t-il lorsque nous sommes nous-mêmes les bénéficiaires de la bonté des autres? Eh bien, nous vouons cette bonne action à l'effacement dans le monde de l'immortalité. Garder vif le souvenir d'une bonne action reçue s'avère bien plus difficile que de laisser disparaître la mémoire de nos propres actes de bonté. Je vais vous en donner l'exemple.

Il était un épicier, homme bon et respectable, soucieux de ses clients. Il les servait bien et leur fournissait des marchandises saines, propres à les nourrir convenablement. Il pratiquait des prix si bas qu'il ne faisait que de faibles bénéfices, insuffisants pour qu'il pût engager un commis dans son modeste commerce. Il travaillait dur, honnêtement et pauvrement. Mais il était heureux.

Vint un jour une cliente qui lui conta une triste histoire. Son mari avait été blessé; ce qui l'avait mis pour plusieurs mois hors d'état de travailler. Elle n'avait pas un sou pour acheter sa nourriture et celle de ses enfants. Elle pleurait: "Nous allons tous mourir de faim", dit-elle. L'épicier fut touché et accepta de faire crédit à cette femme. " Chaque semaine, lui dit-il, je vous fournirai du riz pour sept jours et des légumes pur quatre jours. Cela permettra à votre famille de demeurer en bonne santé. Lorsque votre mari reprendra son travail, vous recevrez les mêmes provisions tout en me remboursant votre dette. En attendant, vous pourrez tous vous nourrir tous les jours de la semaine.

La femme se confondit en remerciements. Chaque semaine elle eut du riz pour sept jours et des légumes pour quatre.

Cependant, quand son mari fut retourné au travail, il lui fallut songer soit à rembourser l'arriéré de ce qu'elle devait en continuant à manger ses quatre jours de légumes, soit à s'adresser à un autre épicier et à manger désormais sept jours de légumes chaque semaine. Elle choisit la deuxième solution et, pour se justifier, elle déclara à qui voulait l'entendre que le premier épicier ne lui avait vendu que des légumes pourris.

Fort souvent, quand nous éprouvons un mauvais désir, nous promettons que, si notre souhait est exaucé nous passerons le reste de nos jours à prouver notre gratitude. Mais, presque à coup sûr, une fois obtenu l'objet si ardemment convoité, notre engagement s'affaiblit puis s'éteint de lui-même. Nous l'enterrons vite sans cérémonie.

Cela n'est point dans la voie du Chan.

De même qu'un fermier qui sème des graines de soja ne s'attend pas à une récolte de melons, de même ne devons nous pas espérer la pureté spirituelle pour récompense quand nous commettons un acte égoïste ou immoral, ou un acte de violence. Nous ne devons pas non plus nous cacher de nos mauvais actes en fuyant le lieu où nous les avons accomplis ou en supputant que le temps en effacera le souvenir. Jamais nous ne devons supposer qu'en ignorant nos méfaits pendant assez longtemps nous en ferons disparaître la trace parmi ceux que nous avons malmenés; que grâce à la mort de ceux-ci, nous expédierons avec eux dans la tombe notre besoin d'expier le dommage que nous leur avons causé.

Ce sont nos bonnes actions qu'il nous faut enterrer, non pas nos victimes ou nos promesses non tenues.

Si, d'ordinaire, nous n'avons point à penser de la sorte, c'est qu'il ne se trouve pas de témoins pour nous interroger à ce sujet. Nous n'avons ainsi pas à répondre de nos actes mauvais.

Il est bien de vieilles histoires de la tradition bouddhiste pour illustrer cette proposition.

En voici une que j'apprécie particulièrement:

Dans la génération qui précéda le temps du séjour terrestre du Bouddha Shakyamuni, de nombreux membres du clan des Shakya furent massacrés par le détestable roi Virudhaka surnommé le Roi de Cristal. Comment ce funeste événement se produisit-il?

Près de Kapila, la cité des Shakya où le Bouddha naquit, se trouvait un grand étang, et sur la rive de cet étang, un petit village. Une année eut lieu une sécheresse telle que les futures moissons dépérirent; et, pour survivre, les villageois n'eurent d'autre ressource que de tuer et de manger les poissons qui peuplaient l'étang. Ils pêchèrent tous les poissons, sauf un. Et ce dernier poisson fut capturé par un garçon qui se mit à jouer avec cette misérable créature en s'en frappant le crâne. Les villageois s'en emparèrent et le tuèrent. Puis vint la pluie, et chacun dans le royaume revint à ses habitudes. Les gens se marièrent et eurent des enfants. Et l'un de ces enfants était le Bouddha Siddharta, né dans la ville de Kapila, d'où le village à l'étang n'était pas très éloigné.

Siddharta grandit. Il prêcha le Dharma. Beaucoup de disciples le rejoignirent. Parmi ceux-ci, était le roi de Shravasti, le Roi Prasenajit . Ce roi épousa une fille du clan des Shakya et ils donnèrent le jour à un fils, le Prince Virudhaka, le fameux "Cristal". Le couple royal décida d'emmener le prince à Kapila, la cité du Bouddha.

Au début, tout alla bien. Le Prince Virudhaka était un bébé bien portant et il devint un beau et fort garçon. Mais avant qu'il fût en âge de fréquenter l'école, survint un événement d'importance.

Un jour que le Bouddha était absent de Kapila, le jeune prince grimpa sur la chaire du Bouddha et commença à s'amuser dessus. Sans mauvaise intention, simplement comme un enfant qui joue. Mais quand les membres du clan du Bouddha virent le jeune prince jouant ainsi à l'emplacement sacré, ils se prirent de colère, ils le réprimandèrent et l'arrachèrent de là, ils l'humilièrent et lui infligèrent une punition.

Que peut comprendre un enfant à l'attitude insensée de fanatiques? Des adultes normaux ne se prêtent pas à pareille conduite . Il y a là un mystère. Le sévère traitement imposé à l'enfant ne servit qu'à faire naître en lui la soif de vengeance qui devait inaugurer une carrière de cruauté.

Il arriva, dit-on, que le prince accéda au trône de Shravasti par le meurtre de son père. Ensuite de quoi, devenu Roi de Virudhaka sous le nom de Roi de Cristal, il trouva l'occasion de se venger des Shakya. A la tête de ses soldats, il attaqua la cité de Kapila. Lorsque les membres du clan des Shakya vinrent avertir le Bouddha de l'imminence d'un massacre, ils le trouvèrent souffrant d'un terrible mal de tête. Ils le supplièrent d'intervenir afin de sauver le peuple de Kapila de la brutale attaque du Roi de Cristal; mais le Bouddha qui gémissait de douleur s'y refusa. "Un karma est un karma. On n'y peut rien changer" leur déclara-t-il.

Les membres du clan se tournèrent alors vers Maudgalyayna, l'un des plus importants d'entre les disciples, implorant son secours. Celui-ci écouta avec émotion leur triste plainte, et décida d'apporter l'assistance sollicitée par les assiégés de Kapila.

Usant de ses pouvoirs surnaturels Maugdalyayana agrandit miraculeusement les dimensions de son bol de moine jusqu'à atteindre le lieu des Shakya menacés. Il en fit monter cinq cents dedans. Après quoi, il éleva le bol haut en l'air, pensant que grâce à ce subterfuge il les sauvait. Mais quand il abaissa le bol, il constata que les cinq cents personnes s'étaient transformés en une mare de sang. Ce spectacle affreux effraya tout le monde; ce que voyant, le Bouddha se résolut à révéler l'histoire de ses ancêtres;- celle des villageois qui avaient mis à mort tous les poissons de l'étang à l'époque de la sécheresse.

"L'armée de ces bandits qui attaquent à présent Kapila est le fait de tous ces poissons", dit-il. "Et les gens de Kapila qui se font exterminer sont ceux-là mêmes qui les tuèrent. Quant au Roi de Cristal, il n'est autre que le dernier de ces poissons. Et qui, demanda le Bouddha en se voilant la face, qui donc croyez-vous était le garçon qui se divertissait à frapper ce poisson contre sa tête"?

Pour avoir tué tous les poissons, les gens souffraient male mort;- Et pour avoir tant maltraité le dernier poisson, le Bouddha avait maintenant le crâne martelé par la douleur.

Et qu'arriva-t-il à Virudhaka, le Roi de Crystal? On dit que, bien sûr, il renaquit en Enfer.

Ainsi, voyez-vous, il n'y a pas de fin à l'enchaînement des causes et des effets. Toute cause produit un effet qui, à son tour, devient la cause d'un autre effet. Action et réaction. Offre et rétribution. C'est la Loi de la Causalité. Tôt ou tard, nos actions mauvaises nous rattrapent. Le seul moyen d'éviter l'effet est de prévenir la cause. Il nous faut apprendre à pardonner, à dépasser le dommage et l'insulte, à ne jamais chercher à nous venger ou même à entretenir des regrets. Jamais nous ne devons devenir sectaires, attentifs à notre rectitude morale et fiers de nos vaines notions de piété et de devoir. Et, par dessus tout, nous devons en tout temps être indulgents, spécialement à l'égard des enfants.

Je vais vous conter une autre histoire qui illustre la Loi de la Causalité. Elle concerne le Maître du Chan Bai Zhang qui eut le pouvoir de libérer un sauvage esprit-renard.

Il y eut en vérité peu de gens capables de pareil action.

Un soir donc, après une réunion de Chan, tous les disciples s'étant retirés, le Maître Bai Zhang avisa un homme d'âge qui s'attardait à l'extérieur de la Salle de Méditation. Bai Zhang s'approcha de lui et lui demanda ce qu'il cherchait ou qui il cherchait. Le vieil homme répondit: "Je ne cherche rien. Je ne suis pas un être humain. Je ne suis qu'un renard sauvage incarné dans corps humain."

Bai Zhang fut extrêmement surpris par ces propos. Et avec curiosité, il s'enquit: "Comment en êtes vous arrivé à une telle condition?"

Le vieil homme expliqua que cinq cents ans plus tôt, il avait été premier moine de ce Monastère." Un jour, un jeune moine me demanda: 'Quand un homme parvient à l'éveil reste-t-il soumis à la Loi de la Causalité?' Et, moi je lui répondis témérairement que non, qu'un tel homme échappait à la Loi. Ma punition pour cette fausse et insolente réponse fut que mon esprit fut changé en celui d'un renard sauvage et je dus m'enfuir dans la montagne. Devenu un homme-renard, je ne pouvais plus mourir et, pour aussi longtemps que persiste mon ignorance je dois continuer à supporter cette misérable condition. Durant cinq cents années, j'ai erré dans les bois, cherchant la connaissance qui me délivrerait. Maître, je vous supplie de faire preuve de compassion à mon égard; éveillez moi à la vérité!". A quoi Maître Bai Zhang répondit: "Posez moi la même question que vous posa le jeune moine, et je vous fournirai la réponse correcte."

L'homme-renard acquiesça: "Voici ce que je désire savoir du Maître: Un homme qui accède à l'illumination est-il encore soumis à la Loi de la Causalité?"

Bai Zhang répondit: "Oui, certes, il ne pourra jamais se soustraire au joug de cette loi. Jamais il ne pourra ignorer les causses et leurs effets possibles. Il lui faudra rester toujours attentif à ses actions présentes comme à ses actions passées."

Et, soudain, le vieil homme-renard se trouva frappé de l'illumination, et libéré. Il se prosterna devant le Maître qu'il remercia avec effusion. "Enfin, s'exclama-t-il, me voici libéré". Puis, comme il se disposait à partir, il se retourna et demanda à Bai Zhang: Maître, puisque je suis moine, voulez avoir la bonté d'accomplir pour moi les rites funéraires monastiques? Je vis non loin d'ici, dans un repaire de la montagne derrière le monastère, et maintenant j'y retourne pour y mourir."

Bai Zhang agréa à cette prière. Le jour suivant, il se rendit dans la montagne où il repéra la couche de terre battue où il pensait trouver le moine. Mais, au lieu d'un vieux moine couché, il n'aperçut qu'une forme troublante. Il remua la chose avec son bâton, et découvrit que c'était un renard mort. Mais, une promesse est une promesse. Maître Bai Zhang conduisit les funérailles monastiques habituelles pour le cadavre du renard. On pensa que Bai Zhang était devenu fou, particulièrement lorsqu'il prit la tête de la procession…derrière la civière sur laquelle reposait la dépouille du renard défunt.

Ainsi, Chers amis, même l'atteinte de la Bouddhéité n'exempte personne de la Loi de la Causalité. Si le Bouddha lui-même a souffert d'un mal de tête pour avoir maltraité un poisson, combien devons-nous, nous autres, rester vigilants sur le principe qu'un acte dommageable nous apportera tôt ou tard sa dommageable rétribution. Veillez attentivement à ce que vous faites et à ce que vous dites. Ne prenez pas le risque d'être métamorphosé en quelque chose qui ressemble à l'esprit de renard.

Notre deuxième obligation est la stricte observance des règles de discipline. Je vous le dis sincèrement: Il ne peut y avoir de progrès spirituel sans obéissance aux règles et sans accomplissement des devoirs religieux.

La discipline est le fondement nécessaire à l'atteinte de l'éveil. La discipline ordonne notre comportement et lui confère sa constance. La fermeté devient ténacité et de là découle la sagesse.

Le Surangama Soutra nous enseigne clairement que la méditation ne saurait suffire à elle seule à éradiquer nos impuretés. Même si nous sommes capables d'une grande efficacité dans notre méditation, il n'en reste pas moins que sans observance de la discipline nous tomberions facilement dans le désastreux royaume de Mara parmi les démons et les hérétiques.

Un homme ou une femme soucieux d'observer ses devoirs moraux et religieux est protégé et soutenu par les dragons célestes et par les anges. Il sont hors d'atteinte et craint des démons souterrains et des hérétiques d'où qu'ils soient.

Une fois, il arriva sans l'Etat du Cachemire qu'un dragon venimeux avait fait sa tanière dans une grotte proche d'un monastère où vivaient cinq cents arhats Theravadin. Ce dragon terrorisait la région, rendant à tous la vie insupportable. Chaque jour, les ahrats se réunissaient et tentaient ensemble d'user du pouvoir de leur méditation collective pour éloigner le dragon. Ils ne purent qu'échouer. Le dragon demeurait où il s'était fixé.

Un jour, un moine Mahayana du Chan fit halte au monastère. Les ahrats se plaignirent à lui de ce terrible dragon et le prièrent de se joindre à eux dans leur méditation , afin d'y ajouter le pouvoir de la sienne. "Il nous faut forcer cette bête à partir", lui dirent ils.

Le moine Chan sourit à cette requête et se dirigea aussitôt vers la grotte du venimeux dragon.

Se tenant à l'entrée, il s'adressa ainsi au dragon: "Sage et vertueux seigneur, lui dit-il, auriez vous la bonté de quitter votre repaire et de trouver un refuge loin d'ici?"

"Fort bien, répondit le dragon, puisque vous me le demandez si courtoisement, je vais accéder à votre demande. Je vais abandonner ce lieu immédiatement. "Ce dragon, comme vous pouvez le constater, avait de bonnes manières et un sens aigu de l'étiquette. Il fit ce qu'il avait dit et s'en alla. De leur monastère, les ahrats observèrent cette scène qui les mit au comble de l' étonnement. Ils en conclurent que ce moine était certainement doué des pouvoirs d'un samadhi miraculeux.

Dès qu'il fut revenu auprès d'eux, ils le prièrent de leur révéler ces merveilleux pouvoirs.

"Je n'ai usé d'aucune méditation singulière ou d'un samadhi particulier, déclara-t-il. Je n'ai simplement fait qu'observer les règles de discipline, lesquelles me commandent de respecter les exigences élémentaires de la courtoisie aussi soigneusement que je respecte les plus importantes recommandations de la moralité."

Nous voyons là que le pouvoir de méditation de cinq cents ahrats assemblés n'égale peu-être pas celui d'un seul moine voué à la simple observance des règles de la discipline.

Et si vous me demandez: "Pourquoi la stricte attention à la discipline est encore nécessaire si l'esprit a atteint l'état mental de non-jugement? Et pourquoi dès lors une personne honnête et loyale doit elle encore poursuivre la pratique du Chan?", je demanderais mon questionneur: "A supposer que vous estimiez votre esprit aussi sûr de soi que vous le croyez, pensez vous que la Déesse de la Lune, si elle descendait vers vous et que,- dans un état de complète nudité, elle vous étreigne,- pensez vous que votre coeur demeurerait sans trouble et parfaitement calme?

Et vous-même, si quelqu'un, sans rime ni raison, vous insultait et vous frappait, n'éprouveriez vous nulle colère, nul ressentiment à son égard? Etes vous certain de savoir toujours vous abstenir de vous comparer aux autres, de toujours vous retenir de former des jugements? Etes vous sûr de toujours savoir distinguer le bien du mal?

Si vous êtes absolument assuré de ne jamais succomber à la tentation, de ne jamais faire fausse route, alors dites le, proclamez le bien haut. Sinon, gardez vous bien de seulement murmurer un tel mensonge.

Pour ce qui est de la troisième recommandation, relative à l'indéfectible croyance en le Soi Bouddha, sachez que la foi est la mère, la source nourricière de notre détermination à assumer la pratique et l'accomplissement de nos devoirs religieux.

Si nous voulons échapper aux tourments de ce monde, il nous faut maintenir une foi inébranlable dans l'affirmation que nous donne le Bouddha selon laquelle chaque être vivant sur terre possède la sagesse du Thatagata, et de ce fait possède aussi la capacité d'atteindre la Bouddhéité. Qu'est ce donc qui nous empêche de connaître cette sagesse et d'atteindre la Bouddhéité? La réponse est simplement que notre foi est faible en ce que nous dit le Bouddha. Nous préférons rester dans l'ignorance de la vérité, accepter ce qui est faux plutôt que ce qui est véritable, et consacrer nos vies à satisfaire tous nos appétits insensés.

L'ignorance de la vérité est une maladie. Et, ainsi le Bouddha nous l'enseigne, le Dharma est une sorte d'hôpital à plusieurs portes. Nous pouvons ouvrir n'importe laquelle et entrer là en cure. Mais il nous faut faire confiance à nos médecins et à l'efficacité de leurs traitements.

Lorsqu'il voulait illustrer les difficultés que causent le doute et le manque de foi, le Bouddha avait coutume de rappeler la parabole du médecin. Il interrogeait: "Supposez que vous soyez blessé d'une flèche empoisonnée, et qu'un ami appelle un médecin auprès de vous, diriez vous à cet ami:' Non, non! je ne supporterai pas que cet homme me touche avant de savoir qui m'a blessé. Je veux savoir le nom du coupable, son adresse et tout ce qui le concerne. C'est important, n'est il pas vrai? Et je veux en savoir davantage à propos de cette flèche. Sa pointe est elle de pierre ou de fer, d'os, de corne? Et sa hampe, de quel bois? Du chêne, de l'orme, du pin? De quelle matière est fait le lien par lequel la pointe est attachée à la hampe? Est-ce un tendon de bœuf, de singe, de cerf? Et de quelle sorte sont les plumes de l'empennage? Sont elles d'un héron ou d'un faucon? Et de quel poison s'agit il? J'ai besoin de savoir tout cela. Et encore, qui donc est cet homme-ci? Etes vous sûr que c'est vraiment un médecin? Je ne veux en aucun cas me remettre aux mains d'un charlatan. C'est mon droit d'être informé de tout cela. Répondez moi, sinon je ne tolérerai pas que cet homme me touche .'

Eh bien, dit le Bouddha, vous seriez mort avant que réponse soit donnée à tant de questions!

Aussi, Chers amis, quand vous ressentez les souffrances causées par les maux de ce monde, ayez confiance dans le Grand Médecin. Il en soigné déjà des millions d'autres. Et qui est mort de ses soins? Quel croyant a manqué l'atteinte à la vie dans l'éternité et au bonheur en appliquant sa médecine? Aucun! Il en ira de même pour vous si vous avez foi en sa méthode!

La foi est une façon de faire, un moyen aussi qu'il vous appartient de développer. Si, par exemple, vous entreprenez de faire de la pâte de soja, vous commencerez par faire cuire puis à écraser les graines; puis vous y ajouterez de la poudre de gypse et du jus de citron à la purée de grains bouillis. Vous savez qu'ensuite il vous suffit d'attendre que la pâte se forme. Vous avez confiance dans votre méthode parce que l'expérience vous a prouvé que cela se passe toujours de la sorte. Vous en éprouvez la certitude. Bien entendu, la première fois que vous avez fabriqué de la pâte de soja, n'étant pas familier de ce procédé, vous avez quelque peu manqué de confiance en son succès. Vous avez peut-être été envahi par le doute: le gypse te le jus de citron provoqueraient-ils la formation de pâte de soja? Mais, ayant réussi, ayant constaté de vos propres yeux que la recette était correcte et que le procédé était bon, vous avez adopté sans réserve cette façon de faire. Votre confiance dans la méthode était définitivement établie.

De même devons nous avoir foi en cela que nous possédons en nous la Nature de Bouddha et que nous découvrirons cette Nature de Bouddha si nous suivons assidûment la voie du Dharma.

Si nous avons peur, nous devrons nous rappeler les paroles de Maître Yong Jia dans le Chant de l'Eveil:

"Dans le Monde Réel du Thatagata, il n'existe ni ego, ni règles. Il n'existe pas d'enfer. Point de maux du Samsara. Si je mens, arrachez moi la langue, emplissez moi la bouche de sable, étouffez moi et abandonnez moi ainsi pour l'éternité."

Personne n'a jamais arraché la langue de Maître Yong Jia.

Pour ce qui est du troisième préalable: notre détermination à réussir, quelle que soit la méthode que nous aurons choisie, laissez moi vous avertir qu'il y a folie à sauter inconsidérément d'une méthode à une autre. Pensez au Dharma comme à une montagne à escalader. Plusieurs chemins mènent au sommet. Choisissez en un et tenez vous y. Il vous mènera au but. Mais, vous ne parviendrez jamais en haut si vous courez autour de la montagne, en essayant une méthode puis en la rejetant en faveur d'une autre qui vous paraît plus facile. De cette façon, vous tournerez et tournerez encore autour de cette montagne, et jamais vous ne grimperez véritablement. Je le répète, ayez une méthode et n'y renoncez pas. Et ayez absolument foi en elle.

Dans le Chan, nous avons l'habitude de conter des légendes relatives au commerce des démons. En voici une qui me semble appropriée à notre sujet:

Un jour, un homme baguenaudait sur une place de marché lorsqu'il arriva devant un étalage où il était dit: "A vendre démons de première classe. "L'homme fut bien sûr intrigué. Ne l'auriez vous pas été?" Faites moi donc voir l'un de ces démons", dit-il au marchand.

Le démon en question était une étrange petite créature…assez semblable à un singe.

"Il est en vérité extrêmement intelligent ,dit le marchand;- tout ce que vous aurez à faire sera de lui donner chaque matin vos instructions sur les tâches qui seront les siennes pour la journée."

"N'importe quelle occupation?" demanda l'homme.

"Oui, répondit le marchand. Il peut faire tout ce que vous voudrez. Tous les devoirs ménagers seront parfaitement achevés quand vous rentrerez du travail."

L'homme était célibataire, et l'acquisition d'un tel démon lui apparut comme un bon investissement. "Je l'achète, dit il", et il paya pour le démon.

"Juste une petite chose, ajouta alors le marchand, une petite chose: Il vous faut être net et précis en lui donnant vos instructions quotidiennes. N'oubliez surtout pas cela! Si vous lui donnez vos instructions chaque matin, tout ira bien. C'est simplement une habitude à prendre."

L'homme opina et mena le démon chez lui. Chaque matin il lui décrivait les plats à cuisiner, le blanchissage à faire, les parties de la maison à nettoyer, ce qu'il entendait avoir pour le dîner. Quand il rentrait du travail, tout était prêt et accompli de merveilleuse façon.

Bientôt vint l'anniversaire de l'homme. Ses compagnons de travail décidèrent de lui offrir une fête. A cette occasion, il but plus que de raison et passa toute la nuit en ville chez un ami. Au matin, il se rendit directement à son travail. Il n'était donc pas revenu chez lui pour donner ses ordres au démon.

Lorsqu'il rentra le soir, il découvrit que le démon ne s'était occupé à rien d'autre qu'à incendier la maison; et il le trouva dansant sur les ruines fumantes.

N'est ce pas cela qui se produit toujours? Quand nous entreprenons une pratique, nous faisons vœu de nous y tenir fidèlement. Mais, dès que nous nous en éloignons, nous provoquons un désastre.

Peu importe que vous choisissiez la Voie du Mantra ou du Yantra ou celle du comptage du souffle ou du Hua Tou, ou la Voie de la répétition du nom de Bouddha, gardez votre méthode!

Si elle ne vous apporte pas la délivrance aujourd'hui, recommencez demain! Dites vous que votre détermination est suffisante pour que vous la continuiez s'il le faut dans une autre vie. C'est ainsi que vous irez au succès. Le vieux Maître Wei Shan avait coutûme de dire:

"Conservez la pratique que vous avez choisie! Et faites comme si vous aviez à y passer autant de vies qu'il le faudra pour atteindre la Bouddhéité."

Je sais que le découragement vient facilement lorsqu'on pense ne faire aucun progrès. Nous nous efforçons autant que nous le pouvons, mais l'éveil ne nous vient pas et nous sommes tentés de renoncer au combat.

Sachez que la persévérance est par elle-même un accomplissement!

Soyez ferme et patient. Vous n'êtes pas seul dans cette bataille. Selon l'ancienne sagesse, "Nous pratiquons durant des éons, et quand nous frappe l'illumination, c'est en un éclair qu'elle survient."

back Retour  next page
 
dernière revision: 11/07/2004
L'Ordre bouddhiste de Hsu Yun
Information