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Souvenirs de Maître Xu Yun: Chapître 11 - Apologue de l'Immortel Taoïstepar Jy Din Shakya, recueillis par Ming Zhen (Chuan Yuan) ShakyaTraduit de l'anglais par Rev. Shi Chuan Guang, OHY Quarante trois générations ont passé depuis le temps où le Sixième Patriarche tenait haut la Lampe du Dharma. Quarante trois générations d'hommes et de femmes ont trouvé la Voie, guidés par cette Lumière. Peu importe qu'une personne ait suivi un autre chemin; elle peut être guidée par le Chan. Quand le soleil se montre à travers une fenêtre, il n'éclaire pas seulement quelques parties d'une pièce en laissant les autres dans l'obscurité. La pièce tout entière est illuminée par la Vérité Solaire. De même, n'importe qui, quelle que soit la voie choisie, peut recevoir les effets bienfaisants de la Lampe du Chan. Prenons pour exemple le cas fameux de l'Immortel Taoïste Lu Dong Bin. Lu Dong Bin était réputé comme le plus jeune et le plus effréné de tous les Immortels. On pourrait dire de lui que c'était un tempérament plutôt impétueux. C'est sous ce jour en tout cas qu'il débuta. Du temps qu'il était simple mortel, on l'appelait Chun Yang. Il était né à Jing Chuan où il vécut à la fin de la Dynastie Tang. C'était il y a plus de mille ans. Mais cette époque qui n'était pas tellement différente de la nôtre: pour réussir socialement, un jeune homme ambitieux avait besoin de recevoir une éducation. Aujourd'hui un tel garçon va au collège pour y obtenir une grade académique. En ces temps là, il fallait subir l'Examen officiel. Si un jeune homme n'était pas capable d'y réussir, mieux valait pour lui songer à faire carrière aux champs. Par trois fois Chun Yang se présenta à l'examen; trois fois il échoua. Il en fut frustré et déprimé. Il ne savait si c'était sa famille qu'il avait bafouée ou si c'était lui-même qu'il avait le plus humilié par son échec. Son avenir était compromis. Chun Yang se conduisit dès lors comme font beaucoup de désespérés. Il devint un pilier de cabaret et se mit à se saouler à mort. Le chemin de l'alcool prit pour Chun Yang la même direction que pour n'importe quel ivrogne. Pour lui commença la chute. Selon l'adage ancien, Chun Yang but le vin, puis le vin but le vin; enfin ce fut le vin qui but Chun Yang. Chun Yang était en piteux état lorsqu'un jour l'Immortel Taoïste Zhong Li Quan le rencontra dans l'un des estaminets qu'il fréquentait. L'Immortel Taoïste prit intérêt à son cas. "Plutôt que d'écourter ta vie en buvant, lui dit il, pourquoi n'essaierais tu pas de l'allonger grâce au Dao?" Au lieu d'une existence misérable, Zhong Li Quan lui en offrait une toute différente, longue et heureuse. Cela ressemblait à une bonne affaire. Chun Yang n'avait pas possédé les dons nécessaires à devenir un fonctionnaire de l'Empire, mais avait probablement les dispositions qu'il fallait pour s'essayer à l'alchimie de l'esprit. Chun Yang, qui n'avait aucune occupation particulière, disposait de tout le loisir de pratiquer. Il prit résolument son parti. J'ai lieu de croire qu'il avait conscience du bas degré où il était tombé. Au plus bas, en fait. Lorsque quelqu'un, considérant sa vie d'un point de vue nouveau, comprend qu'il n'a vraiment plus rien à perdre, il s'ouvre à de nouvelles idées. Chun Yang avait une motivation et pouvait profiter de la circonstance favorable. Restait à se procurer les moyens. C'est ce que Zhong Li Quan était prêt à lui offrir. Il allait lui enseigner les techniques indispensables. Chun Yang consacra dès lors son cœur et son esprit à atteindre la maîtrise en ce que l'on nomme La Petite Orbite Cosmique, pratique d'un yoga qui use de l'énergie sexuelle en vue de transmuer la fange de la nature humaine en Or d'Immortalité. Il y parvint si bien qu'il se rendit capable de se faire invisible ou d'apparaître en deux endroits à la fois. Admirable, sans nul doute! n'est ce pas? Un jour, il décida de survoler le monastère Chan de Hai Hui situé sur la Montagne Lu Shan. Il paraît que les Saints et les Immortels ont la possibilité d'accomplir pareille prouesse, savez vous. Comme des pilotes sans avions...et sans parachutes. Tandis qu'il naviguait en l'air, il vit et entendit les moines bouddhistes qui psalmodiaient en travaillant rudement aux tâches habituelles qui sont celles de moines. Alors, pour faire preuve de ses pouvoirs, et se moquer du labeur des moines, il écrivit un petit poème sur le mur de la tour qui abritait la grande cloche.
Par la force du Joyau qui gît dans le trésor de mon dan tian, Toute chose devient mon plaisir. A la fin du jour, je puis reposer mon esprit Sans égard à ce qui pourrait m'importuner. Votre Chan du non esprit est sans but. C'était là son détestable poème. Puis il s'envola. Chaque jour que l'Abbé, le Maître de Chan Huang Lung, portait son regard vers la Tour de la Cloche, il ne pouvait qu'il ne lût l'odieux poème. Un jour, que Chun Yang, devenu l'Immortel Lu Dong Bin, voltigeait dans le voisinage du monastère, il vit s'élever au dessus de celui-ci un nuage pourpre de forme de hémisphérique. C'était le signe évident que quelque événement d'ordre spirituel se préparait. C'est ce que se dit Lu Dong Bin. Il fallait atterrir et voir ce qui se passait. Tous les moines étaient en train de se rendre dans la Salle du Dharma. Il se déguisa en prenant l'apparence de l'un d'eux. Pourtant il n'était pas de taille à abuser le vieil abbé Huang Lung. "Je n'ai pas l'intention d'exposer le Dharma aujourd'hui, gronda Huang Lung, car il semble que nous avons parmi nous un brigand du Dharma. Lu Dong Bin s'avança et s'inclina avec arrogance devant le Maître. " Auriez vous l'amabilité de m'éclairer sur le sens de l'expression 'Un grain de blé contient l'univers; montagnes et rivières peuvent toutes tenir dans un petit pot de terre' demanda-t-il en défiant Huang Lung. Lu Dong Bin n'accordait pas foi à l'état de vacuité sans ego. Il tenait pour la fausse opinion selon laquelle l'ego survit d'une manière ou d'une autre après la mort.. Huang Lung se mit à rire. " Voyez, dit-il, un démon veille un cadavre! " "Un cadavre? Quel cadavre? demanda Lu Dong Bin. Ma gourde est emplie de l'Elixir d'Immortalité." "Vous pouvez bien traîner votre cadavre à travers toute l'éternité, dit Huang Lung,; cela m'est tout à fait indifférent; mais pour l'heure sortez d'ici; dehors!" "Se pourrait il que vous ne soyez pas en mesure répondre à ma question? demanda sarcastiquement Lu Dong Bin. "Il me semble que vous avez déjà reçu toutes les réponses qu'il vous fallait, railla Huang Lung, faisant allusion au détestable poème de Lu. Furieux, Lu Dong Bin lança son épée, surnommée la "la tueuse infernale "contre Huang Lung. Le Maître se contenta de dresser un doigt vers l'épée en vol. Celle-ci arrêta instantanément sa course et tomba sur le sol sans avoir blessé personne. L'Immortel en fut sidéré. Il n'eût jamais imaginé qu'un maître du Chan possédât un tel pouvoir. Honteux, il tomba à genoux plein de respect. "S'il vous plait, Maître, implora -t il, j'ai véritablement le désir de comprendre!" Huang Lung lui répondit miséricordieusement: " Oubliez la seconde partie de ce qui concerne le pot de terre. Concentrez vous plutôt sur la première partie: le même esprit qui donne forme à un arrangement de matière et le nomme 'grain de blé' est le même qui donne forme à un arrangement de matière qu'il nommera 'univers'. C'est dans l'esprit qu'existent les concepts. Le Chan du non esprit que vous avez cité n'est que la pratique d'élimination des concepts, des jugements, des opinions, et de l'ego de votre mental. Elimination du mental, reprit le Maître, spécialement: élimination du concept de l'ego." Lu Dong Bin rumina longuement cette réponse. Soudain, il la comprit. Aussi longtemps qu'il avait établi une discrimination entre lui-même et autrui, entre le désirable et ce qui ne l'était pas, entre l'insignifiant et l'important, il était resté l'esclave du monde des concepts;- il n'avait été rien d'autre qu'un arbitre de l'illusoire. Il a compris que dans son esprit non troublé, il n'y avait personne qui le contraignit d'être ainsi. Les Immortels Taoïstes ne lui demandaient certainement pas de passer sa vie, voire l'éternité, à juger entre les mensonges et à décider lesquels parmi tous ceux là étaient les plus convaincants. Plein de joie, Lu Dong Bin s'envola vers la Tour de la Cloche Il effaça le poème qu'il y avait naguère tracé et le remplaça par celui-ci:
Je pensais être le maître de mon petit esprit, Mais il n'en était rien. Je cherchais l'or par la voie du mercure, C'est l'illusoire que j'avais mis au jour. Mon épée s'est écrasée au sol Quand Huang Lung a pointé du doigt la Lune; J'ai vu la Lumière, sa Vérité m'a frappé. Elle m'a sauvé; il n'était que temps. Hélas! Constatons que l'Eveil n'avait pas fait de Lu Dong Bin un meilleur poète! En tout cas, le point est que ce Lu Dong Bin, tout Immortel qu'il fût, était en mesure de bénéficier du Chan. Il devint un tel prosélyte des Trois Joyaux -Bouddha, Dharma et Sangha- qu'il reçut le titre de Gardien du Dharma. Il n' était nullement besoin qu'il se convertît ou qu'il prît le nom d'homme du Chan; car la leçon à tirer de son Eveil est que les appellations sont sans contenu. Il demeura un Immortel Taoïste. En raison de la compréhension qui était la sienne, et bien qu'il fût le plus jeune de tous il prit un haut rang les Immortels et devint le plus remarquable d'entre eux. Sous sa direction inspirée, l'Ecole Taoïste du Nord commença réellement à se développer. Lu Dong Bin reçut le nom de Cinquième Patriarche du Nord. Au Sud, un autre grand Taoïste, Zi Yang, connut aussi l'Eveil. Ce fut après avoir lu des Soutras Bouddhiques. Il reçut le nom de Cinquième Patriarche du Sud. Mais c'est là une autre histoire!...
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dernière revision:
11/07/2004
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