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Qu'est-ce que le bouddhisme zen?
De Ven. Ming Zhen Shakya
Traduit de l'anglais par Upasaka Fa Tian avec l'aide de Bernard et Danielle Martin et Lionel Rey Ces dernières années, les chrétiens ont montré un intérêt croissant pour le bouddhisme, un intérêt, je pense, qui ne vient ni d'une curiosité académique, ni d'une désaffection pour le christianisme, mais plutôt d'un désir de retourner aux formes plus anciennes des pratiques chrétiennes?..des formes qui ont inclus diverses méthodes de méditation, lesquelles aujourd'hui, se pratiquent toujours dans le bouddhisme. L'histoire du bouddhisme est telle que, ayant été fondée en un temps et un lieu antérieur à l'alphabétisation, il a été transmis oralement et n'a jamais subi de contrainte été contraint ou n'a jamais été codifié par des autorités fédératrices. Ainsi le bouddhisme était très répandu et l'objet d'aucun contrôle avant que quelqu'un n'ait pu formaliser ses enseignements. Le génie est sorti de sa lampe, pour ainsi dire, et personne n'a jamais pu le recueillir. Le bon côté de cette autonomie est que le bouddhisme a rarement eu à faire face à des problèmes de politique organisationnelle. Beaucoup de choses ont été ajoutées au bouddhisme?..mais rien-ni technique, ni méthode-n'a jamais été uniformément régulé. Si nous pouvons imaginer que l'Assemblée Nationale gère nos vies religieuses, nous pouvons imaginer ce à quoi les premiers chrétiens avaient dû faire face. Il y avait des autorités civiles et des autorités religieuses dans une sorte de corps bicaméral législatif et exécutif. Les rois et les papes, les ducs et les archevêques, et divers petits nobles et prêtres. En ces temps avant Renault, Air France ou le TGV, une personne pouvait très bien naître, vivre et mourir dans un rayon de (50 miles). A part le shérif du comté, la seule autorité que connaissait l'homme moyen c'était son prêtre. Les prêtres avaient beaucoup d'occupations. Ils étaient avocats, juges, conseillers familiaux, (little league coaches : au 14ème siècle il n'y avait aucune pratique du sport en France et le foot ball n'existait pas encore, il a été inventé au 19ème siècle) médecins, psychologues, enseignants, gérants de l'administration de l'église et de la maintenance des bâtiments, et de plus, on attendait d'eux qu'ils écrivent des lettres et des serments, qu'ils entendent des confessions, et qu'ils fassent des rituels. Personne n'enviait le lot d'un prêtre au 14ème siècle. Les chrétiens avaient accès à toutes les pratiques des saints-leurs recettes pour atteindre des états exaltés d'union avec Dieu ; et beaucoup de paroissiens se servaient de ces techniques et devenaient des mystiques, des personnes qui pouvaient communiquer directement avec Dieu. Les mystiques sont des anarchistes spirituels. On ne peut pas dire à quelqu'un qui a communique avec Dieu ce que le mot divin veut dire ou ce dont la volonté divine a l'intention. Un mystique peut deviner tout cela par lui-même. Il préfère te le dire. La dernière chose dont un prêtre avait besoin c'était d'avoir quelques mystiques dans sa congrégation qui mettaient en cause son autorité. Il avait assez à faire sans avoir à choyer ces élitistes gênants. Alors des cloîtres étaient crées, de beaux endroits où les mystiques pouvaient aller contempler Dieu en privé. Il y avait un très haut mur autour du cloître. Mais très probablement ce mur n'était pas là pour empêcher des gens d'entrer, c'était pour enfermer les mystiques?.. De toute façon, la méditation, ce moyen par lequel nous vivons l'expérience directe de Dieu, n'était pas mise en valeur et la prière publique lui a été substituée. L'accent était mis sur la camaraderie, et non sur la solitude. Ceci était un vrai changement. Les cathédrales, rappelons-nous, n'étaient pas adaptées aux congrégations. Il n'y avait pas de bancs dans les églises pour les gens ordinaires. Et ainsi le grand corpus du savoir provenant de la méditation chrétienne a été dissimulé. Personne n'a prévu ni le stress de la vie quotidienne au vingtième siècle ni la séparation de l'église et de l'Etat qui ont amené les chrétiens à explorer les chemins secrets jusqu'à Dieu. Ces techniques de méditation ont été disponibles aux bouddhistes pendant deux millénaires et demi. Et il n'a jamais fallu se convertir au bouddhisme pour s'en servir. L'influence du bouddhisme, en particulier le Zen, ne se mesure pas au nombre de personnes qu'il peut compter comme bouddhiste. En fait, pour dire la vérité, le bouddhisme zen a très peu de dynamique de groupe, voire aucune. Le zen est la branche mystique du bouddhisme mahayana. Comme sont les Soufis à l'Islam, les cabalistes au judaïsme, les yogis à l'hindouisme, et les contemplatifs au christianisme, le zen est au bouddhisme. Et en tant que tel, il est singulièrement non congrégationniste. . Par exemple, je suis considéré comme ministre d'une congrégation fleurissante de bouddhistes ici à Clark County. Bien sûr, un ministre est par définition une sorte de berger-mais le zen est une discipline religieuse très individualiste, et surveiller les bouddhistes zen c'est comme diriger des chats, comme dit le dicton. Si on peut réussir à faire bouger des chats là ou on veut, c'est parce qu'on a déposé de la nourriture pour chats, et non pas parce qu'on a dit quelque chose. Ca me rappelle la réponse de Benito Mussolini quand quelqu'un lui a demandé si c'était difficile de gouverner les italiens. Il Duce soupira d'un ton las et dit, « Difficile ? Non. Inutile ! » Et ainsi de suite avec le zen. Il y a une loi en dehors du code qui dit que le zen pratiqué en groupe n'est pas du tout le zen. C'est bien sur à la fois possible et désirable de prêcher le Dharma bouddhiste dans des groupes importants de personnes. Plus on est de fous, plus on rit. Mais pas le zen. Le vrai zen se fait tout seul. Examinons la définition du mot. Zen est un mot sanskrit qui veut dire méditation. Je ferai une digression pour vous dire qu'en Chine le mot est écrit C-H-A-N et se prononce « Jen » qui est plus ou moins comme il se prononce en Inde. Le sanskrit est écrit D-H-Y-A-N ?.duh yen. Or, lorsqu'on a un D lourdement voisé suivi d'un y transitoire, on prononce la combinaison comme j. Par exemple, quand on dit eduquer, ça devient ejuquer. C'est un changement naturel. Alors dh-yen devient jen et puis zen. Le mot français correspondant est demeuré (resté). Quand notre esprit demeure vraiment ou médite sur quelque chose, nous pratiquons le zen. Cela ne veut pas dire que nous ruminons simplement un sujet, rêvassant ou le tournant dans notre esprit. La méditation qui implique la pensée est une discipline structurée et méthodique. Le méditant se concentre sur son sujet en faisant le tour mentalement, et cette concentration le mène à un absorbement total. La dialectique platonicienne est une forme de cette technique rigoureuse de méditation ; le koan zen est une autre. Dans la République, par exemple, Platon démontre cette technique zen avancée lorsqu'il fait s'engager Socrate dans un dialogue au sujet de la justice. Le Bouddha, dans le soutra Surangama, utilise la même technique quand il examine la nature de l'esprit. Qu'est-ce que l'esprit ? Qu'est-ce que la justice ? Quel est le bruit d'une main qui claque ? L'investigation structurée est une forme ancienne de méditation. Mais ce qui est important ici ce n'est pas d'acquérir la connaissance de l'esprit, de la justice ou des mains qui claquent. Ces sujets ne sont qu'une excuse, s'il vous plaît, pour entrer dans ces états élevés de conscience : la concentration, la méditation, et si on a de la chance, l'extase orgasmique de l'union divine, un état que nous appelons le samadhi. Entrer dans les enceintes nirvaniques, l'état sacré de samadhi, éprouver cette félicité incomparable est le but de toute pratique spirituelle. Et évidemment, ceci n'est pas le genre de but que le pratiquant sérieux voudrait même tenter dans un environnement public. La prière et la méditation sont des efforts personnels et privés. Tout bouddhiste zen le sait ainsi que tout chrétien. (Matthew 6 :6) Quand on réussit dans la méditation, ça se voit. On change ! On rayonne la joie : on est payé de retour ! La camaraderie peut être une valeur. La nature humaine est telle que les gens ont souvent besoin d'un sentiment de sécurité qui naît de l'appartenance à un groupe. Ainsi on trouve beaucoup de membres d'organisations zen qui se retrouvent régulièrement pour s'asseoir sur leurs coussins, puis savourer un tasse de thé et une conversation animée après. Il n'y a rien de nuisible dans la camaraderie, c'est un effort social. Jésus n'a pas dit qu'on ne devait pas aller au Temple. Il a dit que quand nous voulons communiquer avec Dieu, on ne fait pas un spectacle public de sa piété. Parlez à Dieu en privé. Le grand problème avec le Zen de groupe est identique à celui de la méditation qui est habituellement employée par ces groupes, la technique de vider l'esprit. Comme technique avancée c'est éblouissant. Mais cela ne devrait jamais être tenté par quelqu'un qui n'a pas encore éprouvé le samadhi et quelques autres états exaltés de conscience. Pourtant, à cause de la simplicité des instructions, tout le monde pense être capable de l'essayer. Tout ce qu'il faut faire c'est s'asseoir et s'arrêter de penser. Chaque fois qu'une pensée s'élève dans l'esprit, on l'efface. Le but est d'atteindre l'esprit sans pensée. Chaque pensée est comparée à un grain de poussière qui salit l'esprit et donc on est obligé de l'effacer immédiatement. Malheureusement, cette friction peut avoir des conséquences sérieuses. La prochaine fois que vous vous trouvez assis sans rien de mieux à faire, essayez de vider l'esprit en ne pensant à rien. Pas de pensée. Une personne normale ne peut pas rester sans pensée pendant plus de quelques secondes au mieux. Il abandonnerait vite, sauf, bien sûr, s'il attachait une signification sotériologique à cette activité. S'il le percevait comme un moyen d'atteindre au salut spirituel il serait très sérieux dans son essai - ou s'il répondait à l'influence des autres, cette ferveur religieuse qui inspire l'hystérie collective. De toute façon, quelqu'un pourrait vraiment marteler son cerveau jusqu'à un état de soumission. Cette auto flagellation mentale devient alors une espèce bizarre de sado-masochisme. Le maximum qui peut être accompli par cette activité est un état que nous appelons le quiétisme-un état doux de léthargie, état misérable, engourdi et passif dans lequel les bienfaits et les privations de la vie sont acceptés sans considération. Ce n'est pas l'équanimité raisonnée. Ce n'est pas la tranquillité. Ce n'est qu'une stagnation végétative. Au 7ème siècle, Hui Neng, le sixième et dernier Patriarche du Zen, qui a fondé l'ordre où j'ai été admise en Chine, a approché une fois un jeune moine qui était tout le temps assis sur son coussin en essayant de méditer de cette façon. « Pourquoi passes-tu autant de temps assis comme ça ? » demanda-t-il au moine. « Parce que je veux devenir un Bouddha », répliqua le moine. Le sixième Patriarche secoua la tête, « Mon fils, tu peux plutôt faire un miroir en polissant une brique que de faire un Bouddha assis sur un coussin ». D'habitude la personne qui tente cette technique échoue misérablement et puis, frustré et déçu, il abandonne le Zen, en décidant que c'est inutile et un peu trop bizarre. Ce qui est nécessaire dans le Zen ou tout autre discipline religieuse, c'est la clarté de pensée. La vie peut être cruelle et compliquée surtout quand nous découvrons que nous sommes largement responsables du pétrin dans lequel nous nous trouvons. Nous avons besoin de comprendre notre situation difficile. S'échapper de la vie pour s'asseoir sur un coussin et effacer nos esprits n'est guère une solution. La semaine prochaine nous discuterons comment un pratiquant Zen développe cette clarté de pensée nécessaire pour transcender l'ego conscience-l'état dans lequel l'ego n'existe pas. | |
dernière revision:
12/09/2004
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